Découvertes Documentaires du Mois (DDM) #7

What Happened, Miss Simone ?

IllusWhms

Réal. : Liz Garbus
Durée : 1h42
Sortie : 26 Juin 2015 (exclusivité Netflix)
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Comme tout le monde je connaissais la chanteuse et fredonnait même parfois ses airs les plus mémorables. Mais comme beaucoup aussi j’ignorais tout de la vie de Nina Simone, la femme, l’être humain. J’ai donc accueilli ce documentaire, une exclusivité de la chaîne numérique Netflix, avec autant d’intérêt qu’il existe peu de documentaires sur l’artiste. Avant d’être mis en ligne sur Netflix, le documentaire a été présenté au Festival de Sundance en Janvier dernier et sort alors qu’un biopic sur la chanteuse connaît un lent développement depuis 2012. Il devrait finalement sortir en salles courant 2016 et on pourra y voir Zoe Saldana tenir le rôle de Nina Simone, un choix qui n’a pas manqué de faire polémique. En cause, le teint de peau trop clair de la comédienne, probablement perçu comme une volonté de whitewashing de l’icône noire-américaine par Hollywood et ses décideurs blancs. Inutile de préciser que le film prête à la prêtresse de la soul une relation avec son assistant, information démentie par la fille de Nina, Lisa Simone. What Happened, Miss Simone ? a donc le mérite de sortir en premier et de présenter la biographie officielle de l’artiste américaine née Eunice Kathleen Waymon. En effet, Lisa Simone ne s’est pas contenté de témoigner, elle est également la productrice déléguée du film. La fille unique de Nina Simone reviendra donc sur sa relation tumultueuse avec sa mère qui lui a valu d’aller passer son adolescence chez son père. Des révélations personnelles qui viennent étayer le portrait d’une femme combative, rêveuse et trop sensible. Nina Simone garda jusqu’à la fin de sa vie la blessure vive de son éviction du Curtis Institute of Music, à Philadelphie. Celle qui se destinait à la musique classique s’est vu fermer les portes, c’est finalement la musique soul qui lui a ouvert les siennes et l’a consacrée. Monstre sur scène, Nina Simone traîne aussi ses démons dans l’intimité de son foyer. Elle affiche également ses convictions et prête sa voix à la défense des droits civiques des noirs-américains. Bref, ce documentaire fait la part belle à la Nina spontanée, impulsive et vraie, tant dans ses moments de grâce que dans ses coups de cafard. Un beau portrait étayé d’images d’archives et de témoignages de ceux qui l’ont côtoyée musicalement et amicalement. Une jolie découverte.

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Au Royaume des Singes

IllusMonkey

Réal. : Mark Linfield
Durée : 1h21
Sortie : 11 Novembre 2015
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Après Félins, Chimpanzés et Grizzlis, Disneynature nous présente son dernier né : Au Royaume des Singes. Et c’est de nouveau Mark Linfield qui est aux manettes -il avait déjà réalisé l’opus Chimpanzés en 2012. Cette fois le réalisateur suit Maya, une petite macaque à toque, qui vit dans la jungle foisonnante du Sri Lanka. Si  la nature paraît belle et providentielle, encore faut-il faire partie du peloton de tête pour en profiter pleinement. Maya, elle, fait partie des sous-fifres dans l’échelle sociale simiesque. Pour offre à son bébé et elle-même la vie qu’ils méritent, Maya va devoir redoubler d’inventivité et de diplomatie. Encore une fois, Disneynature nous gratifie d’un storytelling résistant à toute épreuve. Et s’il pourra paraître un peu trop artificiels pour les adultes, il charmera à coup sur les plus jeunes spectateurs. Car, si les images sont époustouflantes, l’omniprésence de la narration et de l’anthropomorphisme a quelque chose de finalement étouffant. En allant puiser dans l’universalité du conte sur la royauté, Au Royaume des Singes se borne à une histoire simpliste qui ravira les enfants mais beaucoup moins un public adulte à la recherche d’informations plus solides, si ce n’est même d’un documentaire plus contemplatif. Personnellement, j’ai beaucoup pensé à une série documentaire sur le même sujet que j’ai eu l’occasion de voir étant plus jeune sur France 5. Cette série documentaire, intitulée Gang de Macaques avait le mérite de présenter la vie d’un groupe de singes de Jaipur avec un ton résolument impertinent et décalé. Pas de méprise, sur le plan purement technique, le documentaire de Disney offre de superbes images qui rendent justice aux trois ans de travail de l’équipe. Mais voilà, la fable naïve et convenue agit comme une sorte de barrière laissant les spectateurs les plus grands un peu à côté du sujet. Comme à son habitude, Disney a veillé à ce que le documentaire soit un véritable ascenseur émotionnelle, à l’image de ses films d’animation. On passe des larmes, à l’attendrissement et aux rires en un rien de temps. En somme, voilà un documentaire sympathique à regarder avec les plus petits.

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Making A Murderer

IllusMam

Réal. : Moira Demos & Laura Ricciardi
Durée : 10x65mns
Sortie :  2015 (exclusivité Netflix)
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Cette série documentaire là, exclusivité de Netflix, n’a rien d’un divertissement pour les plus jeunes ! Elle retrace les déboires de Steven Avery avec la justice américaine, une histoire qui a débuté en 1984 et qui n’est à ce jour toujours pas réglée. En 1985, Steven Avery est incarcéré pour un viol qu’il n’a pas commis. Il sortira de prison quelques dix-huit ans plus tard avec une vie détruite : compagne et enfants envolés, réputation et honneur entachés. Au moment de sa sortie, le gouverneur du Wisconsin fait de lui son fer de lance de l’Innocence Project, un programme qui a pour vocation de soutenir les prisonniers injustement condamnés. Mais voilà qu’en 2005, Avery est de nouveau inquiété par la justice dans le meurtre de Theresa Halbach. C’est à ce moment que les réalisatrices ont l’idée de suivre Steven Avery. Dix ans plus tard, Demos et Ricciardi ont collecté plus de 500 heures d’interviews et 180 heures d’images de procès. Un matériau à la fois impressionnant et écrasant qui a de quoi donner des sueurs froides. Cette série documentaire est un véritable cauchemar, sans concessions. Bien plus que le fait divers qui l’a motivé, elle dépeint la vie d’accusé face à la justice américaine. Une condition peu enviable qui repose pour beaucoup sur les apparences : le pyjama rayé des inculpés est un véritable stigmate, la couverture omniprésente des médias qui se repaissent allégrement des détails les plus sordides ou encore l’image charismatique de certains avocats et tenant du gouvernement ; voilà autant de faits à cause desquels la condition d’accusé aux États-Unis est un véritable épouvante. Durant toute la durée de son procès, Steven Avery n’aura de cesse de clamer son innocence là où l’accusation se contentera parfois simplement d’en appeler à l’imaginaire collectif à l’aide de multiples et sordides descriptions de la scène de crime. Quant aux dysfonctionnements de la machine justice que pointe Steven Avery, personne ne souhaite véritablement s’y pencher. Making A Murderer est un document véritablement édifiant qui a le mérite de pointer les failles de la justice et du système américain. Passionnant et glaçant à la fois.

Découvertes Documentaires du Mois (DDM) #1

Citizenfour

Citizenfour 4

Réal. : Laura Poitras
Durée : 1h53
Sortie : 4 Mars 2015
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Citizenfour vient clôturer la trilogie anxiogène de la journaliste Laura Poitras sur l’Amérique post-11 Septembre. Les deux précédents volets, My Country, My Country et The Oath sortis respectivement en 2006 et 2010 dénonçaient, pour le premier, les dérives de la guerre contre le terrorisme et brossait, pour le second, les portraits de deux hommes en relation avec Al-Qaeda. Ces deux films ont valu à la journaliste de figurer sur une liste de personnalités à surveiller étroitement. Elle aurait d’ailleurs été arrêtée plus de 40 fois à la frontière américaine. Ce qui semble n’être qu’une anecdote prend tout son sens dans Citizenfour : c’est sur la base de cette réputation que Edward Snowden décide d’entrer en contact avec elle. Après de nombreuses précautions, l’hacktiviste et la journaliste se rencontrent pour filmer les entretiens avec Glenn Greenwald qui feront éclater le scandale que l’on connaît. Ce documentaire témoigne de la menace qui plane sur la vie privée mais également la liberté d’expression. Ce n’est pas tant l’obscurantisme religieux qui devrait obnubiler les sociétés que les actions dissimulées de leurs gouvernements et les prétextes dont ils se saisissent pour réduire les libertés. Notamment en surveillant les individus et les réseaux au moyen de lois issues de l’obsession anti-terroriste et catastrophistes. Citizenfour est un véritable thriller-réalité qui donne à s’interroger sur le statut des whistleblowers, ces individus pourchassés et menacés pour avoir voulu avertir l’opinion publique de pratiques dérangeantes. Il laisse également dubitatif quant à l’évolution du contrôle des nouvelles technologies et des populations qui les utilisent.

Peut-être vous sentirez-vous révoltés en sortant de la salle : contre votre fournisseur d’accès à internet, contre les entreprises qui collectent vos données et le gouvernement qui vous épie. Promis, dès le lendemain vous retournerez à Twitter sans craintes. Et c’est bien dommage. Citizenfour : un visionnage indispensable !

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Red Army

Red Army 6

Réal. : Gabe Polsky
Durée : 1h25
Sortie : 25 Février 2015
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L’Armée Rouge, voilà le surnom donné à l’équipe de hockey russe qui a fait frémir les plus grandes formations autour du globe dans les années 80. Avec ce documentaire, Gabe Polsky revient sur leurs succès et défaites tout en dévoilant l’envers du décor : une discipline de fer à l’image du régime, une forte pression visant à endiguer la fuite des biceps et de véritables destins humains bouleversés. Red Army c’est une histoire de performance sportive mais surtout d’hégémonie politique. Chronologiquement, le réalisateur revient sur le parcours de l’exceptionnelle dream team qui compose l’équipe : les Russian Five. Au travers d’entretiens et d’images d’archive, Polsky parvient à faire renaître ces figures mythiques qui vivent désormais des vies rangées. Viatcheslav Fetisov, dit Slava, défenseur et meneur, est le véritable fil rouge de cette histoire. Le documentariste se plaît à explorer avec brio cette personnalité trouble, premier joueur à avoir remis en cause la main mise de l’URSS sur son équipe et désormais ministre des sports de Poutine. Véritable frondeur devenu pilier du régime, peut-être par espoir de le réformer ou par simple cynisme. Polsky se laisse parfois aller à une psychologisation quelque peu facile de ses protagonistes, mais il en ressort toujours des éléments d’analyse intéressants. Bien plus que l’histoire d’un affrontement idéologique, Red Army examine les blessures de ces héros soviétiques écrasés par leur pays. De la surveillance par le KGB aux intimidations, Slava et ses camarades ont tout subi. Sur un plan purement sportif, le hockey russe se révèle plus délicat, allant jusqu’à emprunter ses mouvements à ceux des danseurs du Bolchoï. Une pratique qui se heurtera à sa version américaine, plus primaire et violente.

Avec Red Army, Gabe Polsky livre la Guerre Froide sous un autre angle : un combat hégémonique dans un monde divisé, où chaque activité humaine est concernée. Il rend efficacement compte de ces destins brisés par l’idéologie et le protectionnisme. Une séance instructive.

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Les Gens du Monde

Les Gens du Monde

Réal. : Yves Jeuland
Durée : 1h22
Sortie : 10 Septembre 2014

Yves Jeuland ausculte le service politique du journal Le Monde. Filmé durant la campagne présidentielle de 2012, ce documentaire nous présente une période d’effervescence au sein de la rédaction qui se dévoile à travers ses personnalités, les interrogations qui les réunissent et les surprises de l’actualité. Voilà une promesse alléchante : de grands débats, de beaux frissons et une pensée en action. Étonnement, il n’en ressort qu’inconséquence et platitude. Une attitude bavarde que l’on peut imputer à une nécessité de mise en scène. Compliqué, en effet, de montrer un travail de bureau dont le fruit naît dans l’intimité cérébrale des journalistes. Malheureusement, l’attention est tout de suite happée par ces small talks d’une banalité confondante. Certains passages esquissent pourtant des questions plus profondes ayant trait aux bouleversements structurels engendrés par le numérique et le besoin d’une actualité en direct qu’il aurait été bienvenu d’approfondir. En effet, ces interrogations s’effacent devant le charisme des protagonistes et leurs petites préoccupations quotidiennes, pas toujours captivantes : le dégoût d’autres grands journaux, la peur de l’image renvoyée ou encore la bonne façon de twitter.

En somme, le visionnage n’a rien de désagréable mais ne laisse aucune véritable empreinte. Les saynètes laissent l’impression d’un débat bruyant et stérile. Il faut retenir des Gens du Monde l’inquiétude, en filigrane, des reliquats d’une presse traditionnelle peu à peu engloutie par les nouvelles technologies et les réseaux sociaux. Passable.