Desierto, ou le shoot ’em up de clandestins.

Comme le marketing n’a pas manqué de vous le rappeler, Desierto c’est l’oeuvre des créateurs de Gravity. Enfin, non, pas vraiment. Pas du tout même. Desierto, c’est surtout le deuxième long-métrage de Jonás Cuarón, fils d’Alfonso Cuarón, et dont le rôle sur Gravity s’est limité à œuvrer sur le scénario aux côtés de son père et réaliser un le court-métrage annexe intitulé Aningaaq. En dehors de la filiation des réalisateurs et d’un attrait pour les vastes et redoutables espaces, la ressemblance s’arrête là. Le pitch avait pourtant de quoi séduire : dans le désert de Sonora, des clandestins mexicains tentent de gagner les Etats-Unis. Mais à l’approche de la frontière, il devient évident que quelqu’un cherche à les abattre et veille à ce qu’il ne reste aucun survivant. Le synopsis promettait une satire violente sur le climat social et géo-politique en cette période où un certain Trump promet d’ériger un mur entre les Etats-Unis et le Mexique. Détrompez-vous, il n’en est rien. A trop vouloir séduire un large public, Jonás Cuarón réduit son film à un vulgaire film de genre. Pire, il ne cherche pas à s’affranchir des codes de ce genre de production. Exit donc la promesse d’un angle de vu cinglant sur la vie politique américaine. On se doute pourtant que le réalisateur a son mot à dire sur cette situation révoltante mais le message ne franchit pas celui de la simple évocation. De la première à la dernière minute, le film ne parvient pas à sortir du pilotage automatique qu’il a lui-même initié. Le scénario se veut pourtant ramassé et les dialogues ciselés, mais tous deux ne permettent pas de se départir du survival basique. Plus frustrant encore, il recycle les sempiternels clichés du genre.

Desierto Illus 1

Quant à ceux qui pensent se réjouir de magnifiques plans d’un désert à la beauté épineuse, Jonás Cuarón ne parvient pas à montrer le désert américain autrement que tel que vous l’avez déjà vu dans quantité d’autres films. Les acteurs, au demeurant très bons, ne parviennent pas non plus à sauver la situation. On les sent indifférents, à l’image du projet lui-même. Il faut reconnaître que Gael Garcia Bernal et Jeffrey Dean Morgan marchent sur des œufs tant leurs personnages restent peu caractérisés. On devinera seulement du mexicain qu’il est un père démissionnaire aspirant à retrouver son fils. Quant à l’américain il est dépeint comme un redneck arborant fièrement le drapeau confédéré à la pointe de l’antenne radio de son pick-up. Comme seul compagnon, le redneck est investi d’un chien tueur -dont la rapidité et la férocité frôlent parfois e grotesque. Pour autant, cet appendice canin ne permet guère à Jeffrey Dean Morgan de s’exprimer. Les personnages sont tellement peu identifiés et caractérisés que j’ai découvert leurs noms dans la fiche technique. Et quelle mauvaise surprise ! Alors que le clandestin se nomme Moïse, l’américain sanguinaire est investi du prénom de Sam. Un combat allégorique et malvenu s’ouvre donc entre Moïse, guidant le peuple à travers le désert, et Sam, l’oncle américain qui veille à la conservation de sa pelouse -de son sable en l’occurrence. Une référence biblique assez maladroite qui a comme aboutissement d’écraser la réflexion dans une simple dualité manichéenne. Autant de raisons pour lesquelles, l’identification ne se fait pas entre ces personnages superficiels et un public complètement largué.

Desierto Illus 2

A trop vouloir draguer les amateurs de films de genre, le réalisateur s’est privé d’aborder frontalement la question de l’immigration clandestine et du conservatisme américain. On peine à ressentir dans cette chasse à l’homme tout le drame qui se joue à la frontière américano-mexicaine. Les personnages sont lisses, les acteurs démissionnaires et l’action conventionnelle. Certaines séquences, frôlant parfois le cocasse, extraient le spectateur de la narration et le laissent sur le bas côté de ce sentier désertique. Parmi elles : la mort d’un animal qu’on croirait sortie d’un film de série Z, une course-poursuite autour d’un rocher qui vous donnera l’impression d’observer vos chats en train de jouer et un tueur sanguinaire désolé et en pleurs. En somme, la déception est aussi grande que les promesses narratives et thématiques ne sont pas tenues. Et, encore une fois, c’est bien dommage ! Malgré une prémisse prometteuse et évocatrice, Desierto est d’une artificialité confondante. Un visionnage dispensable. Ce qui m’amène à vous conseiller un film qui m’avait fait forte impression à l’époque et traite similairement d’une chasse à l’homme : El Rey de la Montaña, réalisé par Gonzalo López-Gallego et sorti en 2007. Il n’y est certes pas question d’immigration mais le pamphlet social y est également présent. Ce film réussit là où Desierto échoue : l’action interpelle et bouscule le spectateur, les points de vue oscillent et se renversent, la tension est tenue de bout en bout et les personnages sont suffisamment caractérisés pour permettre au public de s’y retrouver. Entre les deux, le choix est vite fait.

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